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Expositions

Jan Fabre, Scie-sauteuse
© Academia Belgica

Vestiges industriels

Jan Fabre nous fait plonger dans son univers inquiétant à la Galleria Comunale d'Arte Moderna e Contemporanea de Rome.

Il faut s'imaginer une vaste salle plongée dans une lumière artificielle plutôt basse. Plusieurs machines industrielles, surannées et rouillées, sont disposées de-ci et de-là. En dehors du fait qu'elles sont toutes dans un triste état, elles ont en commun d'être dotées d'instruments dangereux : roues dentées, scies sauteuses, vis sans fin, aiguilles énormes, étaux impressionnants. C'est donc l'univers du travail moderne qui est perçu ici dans une perspective précise : mettre en évidence le caractère dangereux des manipulations qu'il implique. Des personnages, ou plutôt des silhouettes de personnages, semblent errer au milieu de ces vestiges d'une civilisation de la machine tant aimée des futuristes. Ces paradigmes humains sont faits d'un treillis de fil de fer sur lequel sont disposées de fines tranches d'ossements, qui ressemblent, de loin, à du carton. Sur les murs, des membres sont représentés de la même façon. Et, dans les airs, sont suspendus de nombreux objets orthopédiques, tous d'une belle et vive couleur verte, de la simple béquille au fauteuil à roulettes.

En somme, il est manifeste que le jeune artiste belge Jan Fabre, ˜ il est né en 1958 à Anvers ˜ petit-fils du célèbre enthomogiste Jean-Henri Fabre, l'auteur de La Vie des insectes, a voulu rendre présente (et repoussante) une idée qu'il s'est faite du monde capitaliste dans son aspect noir et cruel. Je ne suivrais pas une seconde l'interprétation du critique Eric Mézil, qui écrit dans le catalogue à propos de cette installation baptisée Umbraculum : « L'exposition procure en effet une sensation à la fois mélanconique et rassénérante ˜ vivifiante ˜ de la condition humaine. Les scies industrielles d'autres temps peuvent évoquer la barbarie de l'Inquisition ou de la Révolution française, instruments de torture, machines pour tailler les corps démembrés en fragments sanglants. » Pourquoi ne pas faire référence, à ce point, à la construction des pyramides, aux camps de concentration nazis, aux goulags soviétiques, à tout et à rien ? Ce gentil délire qui est le propre de notre époque et a tendance à tout mélanger, rendant tout équivalent et, en fin de compte, indifférent, est très pernicieux. Mais l'oeuvre, fort heureusement tient debout sans lui, et mérité d'être connue en oubliant un peu son message trop didactique.

En outre, Jan Fabre, qui semble être l'un des artistes flamands les mieux défendus par la tribu de l'art contemporain, présente aussi un spectacle baptisé (en anglais !?) As long as the World Needs a Warrior's Soul au Teatro Argentina , le 19 et le 20 octobre. Cela donne l'impression d'être tout à fait politically correct. Very correct indeed. Too correct for me.


 Gérard-Georges Lemaire
09.11.2001