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Expositions

Le Corbusier, côté pinceau

Sa vie durant, l’architecte a produit tableaux, dessins, pastels. Un échantillon d’œuvres sur papier, de 1922 aux années finales du cabanon de Roquebrune, est proposé à Paris.


Le Corbusier, Figure et
nature mortepastel lavé et encre de
Chine sur papier, 42 x 27cm
© Galerie Zlotowski
Le Corbusier (1887-1965) est à la mode ces temps-ci. Mais par la bande, pourrait-on dire. La Bibliothèque nationale célèbre Xenaxis, son collaborateur à l’époque du «brutalisme», tandis que Lucien Hervé, qui fut son photographe, bénéficie d’une ambitieuse rétrospective au Patrimoine Photographique. Le maître lui-même est mis en avant à la galerie Zlotowski, spécialisée dans le purisme. Les anciens assistants du 35, rue de Sèvres, où Le Corbusier eut son atelier pendant près de quarante ans (1924-1965), revoient certainement avec intérêt la production de «Corbu», qui écrivait en 1948 dans le numéro que lui consacrait «L’architecture d’aujourd’hui» : «Le matin à la peinture, l’après-midi, à l’autre bout de Paris, architecture et urbanisme. (…) Je pense que si l’on accorde quelque chose à mon œuvre d’architecte, c’est à ce labeur secret qu’il faut en attribuer la vertu profonde.»

Avant que d’être architecte, Le Corbusier se voyait bien en peintre. Son père était émailleur de cadrans de montres à La Chaux-de-Fonds, ville qui fut aussi celle de Blaise Cendrars, et le jeune Charles-Edouard aurait dû suivre ses traces. Il faudra l’intervention décidée d’un professeur pour l’orienter vers l’architecture. Mais Le Corbusier n’abandonnera jamais ses premières passions. Avec Ozenfant, il fonde à la fin des années dix le mouvement puriste, qui aura pour organe «L’Esprit nouveau». Les natures mortes qu’il réalise ont une filiation évidente avec le purisme mais les formes sont moins imbriquées, moins dissoutes. La ligne de contour définit toujours avec netteté les objets représentés : guitare, bouteille, verre, etc. Le Corbusier, derrière son apparence de sérieux, savait faire autre chose que des bouteilles et des guitares. En 1926, il force la main à un commanditaire, Marcel Levaillant (par ailleurs ami d’enfance) qui accepte de le payer 300 francs pour une série de 50 aquarelles sur le music-hall. Avec un curieux mode d’emploi : «Les disposer sur une table par groupe de six en les recouvrant (…) Faire passer vite, regarder vite (…) le music-hall est une chose passagère, rapide ; il en naît un certain éblouissement provenant de la cacophonie et des cuisses des dames.»

La femme constitue d’ailleurs un motif d’inspiration récurrent : la femme opulente, méditerranéenne, solaire, qui, comme dans la mythologie, est parfois accompagnée d’un taureau divin. Dans les années cinquante, Le Corbusier met au point son Modulor – étrange écho de l’homme vitruvien de Léonard de Vinci exposé à partir d’aujourd’hui à l’Accademia à Venise (voir notre article). La lithographie en 6 couleurs qu’en tire Mourlot est demeurée justement célèbre. Crayon, aquarelle, encre de Chine, huile (qu’il apprend avec son ami Fernand Leger) : Le Corbusier, en homme de la Renaissance, s’attache à toutes les techniques. Il s’intéresse aussi au collage, qui lui sert à concevoir l’affiche pour l’exposition du Poème de l’angle droit chez Berggruen. Avec un «g» en moins : cette faute d’orthographe, qui la différencie de la lithographie, la rend véritablement unique…


 Rafael Pic
02.02.2002