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Expositions

Le sang entre au musée

Deux musées de Francfort explorent les différentes valeurs symboliques du sang. Quand la sociologie entre au musée...


Lovis Corinth (1858-1925)
Salomé, 1900
Huile sur toile
127 x 147 cm.
©Museum der Bildende Kunst, Leipzig
Le Sang : Perspectives sur l'art, le pouvoir, la politique et la pathologie, le titre est éloquent, il s'agit ici au travers d'une vaste exposition thématique et interdisciplinaire, de se pencher sur le sang en tant que symbole, l'évolution de sa conception au travers des siècles, des civilisations. Le sang sera envisagé en tant que substance physique, vivante, insigne de la matérialité du corps humain mais également en tant que véhicule de toutes sortes de fantasmes et vecteur, notamment, de la mythologie nazie et de ses concepts de «race» et de «pureté» . James Bradburne, conservateur du musée d'art contemporain de Francfort, commissaire de l'exposition, la définit comme un événement au concept différent, qui «invite les visiteurs à réfléchir sur le monde dans lequel nous vivons et dans lequel nous continuons de créer, dans toute sa richesse symbolique et sa complexité, sa beauté et son horreur». Le sang est perçu comme le révélateur d'un état de la société dans laquelle nous vivons, il mesure notre rapport au corps, à la mort. Les arts sont alors convoqués au même titre que la science ou les technologies afin d'expliciter l'évolution de notre appréhension de cette substance.


Gianlorenzo Bernini (1598-1680)
Allégorie du Sang du Christ
crayon et encre brune, lavis brun
avec rehauts de blanc sur papier gris
386 x 247 mm.
© Teylers Museum, Haarlem
L'exposition est divisée en quatre sections correspondant chacune à une perspective différente. Le sang est d'abord envisagé sous l'angle du sacrifice, de la rédemption, de sa valeur symbolique au sein des dynasties et enfin à la lumière de sa représentation artistique à la fin du 20e siècle. Pour chacune de ses étapes, les œuvres d'art sont accompagnées des découvertes scientifiques relatives au sang, des premières expériences de Harvey sur sa circulation aux cartes du génome. L'éventail des réalisations artistiques présentées est très large, s'étendant des objets de la culture maya aux photographies d'Andres Serrano en passant par les enluminures, les dessins du Bernin, les peintures de Corinth, etc. Salomé, reproduite ici, illustre «le sang dynastique». La manière de Corinth, artiste allemand qui exerça à la charnière des 19e et 20e siècles, fortement expressive, tourmentée, la facture épaisse, jouant sur l'empâtement viennent appuyer la cruauté contenue dans cette scène, dont Salomé, la femme, est le vecteur. C'est ici la vision du sang en tant que liant amoureux entre un père et sa fille, entre Hérode et Salomé, qui nous est offerte.

L'exposition s'accompagnera d'un site, www.bloodexhibition.de, chargé de poursuivre la réflexion sur la perception contemporaine du sang et sur les conclusions que l'on peut en tirer au regard de notre évolution sociologique. Site sur lequel le visiteur pourra naviguer grâce à quelques postes disposés dans les salles. Celui-ci sera également mis à l'épreuve physiquement par la surprenante invitation qui lui est formulée à l'entrée de l'exposition : un camion de transfusion sanguine lui permettra de donner son sang en échange de la gratuité de son billet...


 Raphaëlle Stopin
10.11.2001