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Expositions

Mercure, 2001. Modèle: Enzo
Sans cadre: 122,5 x 92 cm
Avec cadre: 226 x 136,5 cm
© Pierre et Gilles
Courtesy Galerie Jérôme de Noirmont,
Paris.

Le monde fantasmatique de Pierre et Gilles

La Galerie Jérôme de Noirmont expose près de 70 œuvres, derniers travaux de ce duo d'artistes, qui dessinent comme un album de famille.

Pierre, photographe et Gilles, peintre, travaillent ensemble depuis 1977. Depuis plus de 20 ans, ils réalisent ces icônes, images d'une réalité recomposée. Le principe est demeuré le même : l'image est définie au préalable par un dessin conçu par Pierre et Gilles, réglant les moindres détails de la mise en scène et laissant peu de place à l'improvisation. Décor, accessoires et maquillage jouent un rôle essentiel dans l'élaboration de leur univers. Le modèle, qui appartient souvent au monde du cinéma, de la mode, est toujours acteur du scénario imaginé par les deux artistes. La photographie est ensuite retouchée par Gilles, qui parvient par une succession de couches de peinture et de glacis, à donner ce fini lisse et parfait. Vient alors l'étape décisive de l'encadrement. Le cadre est en quelque sorte, «personnalisé», redondance stylistique de l'image, il confère à ces réalisations photo-picturales, la valeur d'objets d'art. A noter, à ce propos, que toutes leurs œuvres sont uniques. Nous sommes donc bien loin de l'image photographique, empreinte du réel et reproductible à l'envi.

L'exposition regroupe des œuvres de types différents ; à remarquer, cette série consacrée aux figures mythologiques et bibliques de Ganymède, Mercure, Ixion et David. Ces héros sont incarnés par de jeunes éphèbes, affichant leur nudité dans des poses toujours frontales. Cette récurrence de la frontalité, Pierre et Gilles la justifient par le désir d'établir une plus grande proximité entre le spectateur et le modèle. Mais ne pourrait-on pas y voir également un moyen d'atteindre au hiératisme de cette image icônique vers laquelle ils tendent ? Le cadre, un portique doré, composé de pilastres supportant un fronton triangulaire, se veut un rappel stylistique de cette Antiquité dépeinte et démontre bien l'importance de cet élément, évoqué précédemment. Viennent ensuite les scènes de genre dont certaines, à visée allégorique telles que Hier, aujourd'hui, demain, représentant le top model Laetitia Casta qui figure ici La Femme, ou encore ces compositions traitant du monde de l'enfance. Maman !, image d'un petit garçon serrant contre son cœur une peluche maculée de sang, est, comme souvent chez Pierre et Gilles, d'une nature duale. D'apparence légère, elle renferme sa dose de noirceur. Les portraits en tondo, les autoportraits témoignent de cette ambivalence, faisant souvent se côtoyer amour et mort, dans une même imagerie kitsch. A l'occasion de cette exposition, Jérôme de Noirmont nous révèle son nouvel espace, situé non loin de la galerie, rue Jean Mermoz. Le galeriste édite également un ouvrage regroupant un catalogue raisonné de cette très récente production ainsi qu'un entretien inédit avec le duo, à l'aune duquel le lecteur mesurera sans aucun doute, l'indissociabilité des deux parties, s'exprimant d'un « nous » unanime. Regrettons seulement que les œuvres reproduites dans les pages de ce catalogue aient été privées de leur cadre.


 Raphaëlle Stopin
12.11.2001