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Expositions

Mario Giacomelli, Io non ho mani che mi accarezzino il volto

Giacomelli, la loi des séries

Paysages, vieillesse, séminaristes… La galerie Berthet-Aittouarès présente l’ensemble des thématiques développées par le photographe italien.

Dans les «classements» des photographes italiens, il figure souvent sur la plus haute marche. Et sa disparition, il y a un an, a officialisé son entrée dans le Panthéon de la chambre noire. Le boutiquier de Senigallia, une petite ville des Marches, sur la côte adriatique, aurait sans doute apprécié l’exposition intimiste que lui consacre la galerie Berthet-Aittouarès. Un beau texte de Jean-Louis Schefer sert d’introduction à une cinquantaine d’images, exclusivement en noir et blanc. Elles sont réparties sur deux salles que sépare une de ces anciennes cours pavées du Quartier latin. Au fond, un divan invite à une halte : pour découvrir le personnage sur un documentaire télévisé ou, plus simplement, pour synthétiser les impressions que produisent ces tirages si contrastés, souvent bougés.

A part ses dernières thématiques comme «Caroline Benson», qui apparaissent marquées au sceau du romantisme fade et de l’érotisme soft des années 1970 avec leurs mises en situation scabreuses, Giacomelli ne photographie que des choses sérieuses. Sérieuses car essentielles : la terre, le travail, la mort, le jeu. Giacomelli, né en 1925, n’avait pas l’intention de devenir photographe. Comme le cinéaste Visconti, il envisageait sérieusement une carrière dans la course automobile. Jusqu’à ce qu’un accident le convainque de réduire ses ambitions. Alors qu’il rêvait des Mille Milles, des autodromes de Monza, d’Imola ou de Spa, il ouvre dans une ruelle de Senigallia un atelier d’imprimerie. Il s’achète un appareil photographique, très simple, à l’obturateur lent et peu intelligent, qu’il rafistolera sans cesse au cours de son existence.

Si l’on y regarde bien, la production de Giacomelli tient en quelques années. Il achète son appareil en 1953 et dès 1968, il s’égare dans «Caroline Benson». Quinze années lui auront suffi à devenir une valeur sûre des grands musées américains. Sa discrétion enrichit ensuite le mythe. Sa modestie aussi : jusqu’à la fin, le sage à la longue tignasse blanche continue imperturbablement à développer. Comme Boubat, comme Berengo Gardin, comme d’autres qui ont depuis senti le potentiel commercial d’une telle démarche (Arthus-Bertrand, Giorgia Fiorio), Giacomelli travaille par grandes séries. Pionnier du Land Art, il retranscrit les rides de la terre. Ethnologue, il fixe les travaux et les jours dans la lumière aveuglante des Pouilles ou dans les ruelles glissantes d’un petit village des Abruzzes, Scanno, qui séduira aussi Cartier-Bresson. Il entre dans les maisons de retraite, il suit les séminaristes qui jouent au ballon dans la neige (on pense à Boubat). A chaque fois, quelques photos, qui n’ont l’air de rien, qui ont pu être prises en une heure mais qui ont parfois nécessité un an d’observation. Elles sont accrochées là, sans mise en scène inutile. Comme l’aurait fait Giacomelli dans son arrière-boutique…


 Rafael Pic
27.11.2001