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Expositions

Ranson, prophète énigmatique

La galerie Antoine Laurentin expose en une trentaine d'œuvres sur papier, les différents visages d'une figure méconnue du groupe des nabis, Paul Ranson.


Paul Ranson, Femme portant un panier
sur la tête et enfant au béret basque
, 1893.
Fusain et estompe, 325 x 430 mm
Courtesy Galerie Antoine Laurentin, Paris.
1888, Gauguin peint La Vision après le sermon et Sérusier réalise sur les conseils de ce dernier Le Talisman, deux œuvres manifestes qui augurent de nouvelles règles picturales. Naît alors le synthétisme, art qui tend, par le biais d'une couleur libérée, vers une simplification des formes. L'aplat est dès lors privilégié, les larges zones colorées sont délimitées par des cernes noirs ou bleus, la couleur se fait non imitative. La forme se veut expressive, la «sensation» est alors suggérée, non par l'imitation mais par le symbole. Sérusier, élève de l'académie Julian, propage au sein de l'école, l'esthétique synthétiste. Quelques uns dont Bonnard, Maurice Denis, Ibels, Ranson, rejoints par la suite par Roussel, Vuillard et Lacombe, se regroupent sous la dénomination de «nabis», terme signifiant prophète en hébreu. L'art des nabis, en témoignent les titres des tableaux et le nom de baptême du groupe, est fortement empreint d'un sentiment religieux voire mystique. Parmi les nabis religieux, on retient les noms de Denis, Sérusier et Ranson. Maurice Denis, énonce les principes du «néo-traditionnisme», terme qui révèle la filiation que certains nabis désirent entretenir avec l'art du passé et plus particulièrement la tradition de la peinture religieuse, celle où les formes sont symboles : les primitifs italiens et les icônes byzantines. Ranson est perçu comme le plus énigmatique des nabis religieux. De l'hermétisme qui caractérise une partie de son œuvre, découle la relative méconnaissance du corpus du peintre. A l'aune de cette exposition, la peinture de Ranson apparaît moins univoque, d'autres visages du peintre se dessinent.

Paul Ranson naît en 1861. Il est l'aîné du groupe et le premier à disparaître, à l'âge de 48 ans en 1909. Longtemps oublié, Ranson tient pourtant une place importante au sein du groupe, c'est en effet chez lui, dans son atelier dit «le Temple» que les nabis se réunissent toutes les semaines. L'exposition rassemble essentiellement des œuvres sur papier, fusain ou pastel, dont quelques études préparatoires. Sont présentées quelques-unes des collaborations de Ranson avec le monde littéraire, notamment un programme pour un théâtre de marionnettes. Sont également exposés le projet de couverture pour les chansons de Bilitis, écrites par Pierre Louÿs ou encore le projet de couverture d'une partition de F.Schnecklud, tous deux datés des années 1890. Les premières années nabies sont marquées par son voyage au Pays basque, période dont la galerie nous présente quelques réalisations. Le dessin reproduit ci-dessus évoque certaines similitudes avec la peinture de Gauguin à Pont-Aven. La composition est divisée dans sa largeur par les deux segments que constituent les troncs d'arbres, lesquels scandent également l'espace du tableau, suggérant deux plans, sans qu'il y ait jamais d'effet de perspective. L'on pense alors à La Vision après le sermon de Gauguin. Les années 1890 sont aussi celles des compositions allégoriques, la décennie s'ouvrant avec le célèbre et très hermétique Paysage nabique. Cet ésotérisme est ici abordé avec des œuvres telles que Sorcière au hibou, un dessin préparatoire, peuplé d'éléments à teneur symbolique. A partir de 1900, Ranson revient au motif, et réalise de nombreux pastels de forêts verdoyantes. Aussi polymorphe que peut paraître l'art de Ranson, cette exposition, qui rassemble un échantillon de toutes les phases artistiques traversées par l'artiste, en montre les fils conducteurs. Ne peut-on pas voir en effet dans cette ligne sinueuse, épaisse, qui parcourt toute son œuvre, la marque de son art ? Des doigts de la sorcière aux branches des arbres, les formes s'étirent, se tordent. Les derniers paysages d'apparence plus réaliste, dénotent une même vision symboliste de la nature. Tout au long de son œuvre picturale et graphique, l'artiste entretient une ambivalence entre formes humaines et végétales. Le végétal s'humanise et l'humain se végétalise et c'est la même sensualité qui caractérise le vivant, quel qu'il soit.


 Raphaëlle Stopin
21.11.2001