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Marché

Germaine Krull. Les amies, 1924.
Courtesy Galerie Laurent Herschtritt.


Paris Photo : cap sur le grand public

La manifestation parisienne, qui a conclu hier sa 5e édition, s’éloigne de l’expérimentation et tente de fidéliser un public élargi.

Cette nouvelle édition de Paris Photo est-elle aussi réussie que la précédente? D’un point de vue commercial, la réussite se mesure aux ventes des galeries, mais également au fait que les organisateurs refusent des demandes de participation. Cette année, les demandes ont été nombreuses et il n’y a pas eu d’espace pour tout le monde. Quant aux ventes, il est trop tôt pour se prononcer. On sait l’inquiétude qui règne en cette fin d’année sur le marché de l’art, mais rien ne permet encore de parler d’une régression. Qu’en est-il alors d’un point de vue strictement artistique ? En d’autres termes, au delà de la représentativité du marché, cette manifestation parisienne nous donne-t-elle un éclairage sur les tendances d’aujourd’hui - dans la mesure où l’on considère les galeries comme un vecteur significatif ?

Il est intéressant sur ce point de comparer Paris Photo à une grande foire d’art contemporain comme celle de Bâle où la photographie était présente de façon différente. Andreas Gursky, vedette du moment, et les membres de l’école de Düsseldorf occupaient en Suisse une grande place. Ainsi que Jean-Marc Bustamante et, dans un autre genre, Nan Goldin. Alors qu’à Paris, on n’a pour ainsi dire pas retrouvé ces noms - ni les mêmes prix. Difficile pour autant d’en tirer des conclusions. Les œuvres que l’on croisait le plus souvent cette année étaient aussi bien celles de Lucien Hervé - juste reconnaissance - que d’Araki - une démarche qui finit par s’épuiser. Il faut dire que tout ce qui touchait de près ou de loin au sexe était mis en avant et semblait répondre aux goûts des acheteurs, à en juger par les petits points rouges figurant sous les images. Une galeriste américaine rapportait ainsi les propos de l’un de ses visiteurs : «Aujourd’hui, il faut faire de la pornographie, de la couleur et du grand format !». Une manière de dire que les oeuvres fondées sur l’observation du monde quotidien et ordinaire ont progressivement laissé la place à des scènes plus intimes, associant ainsi la photographie à un instinct voyeuriste : la galerie anglaise Hamiltons a très ostensiblement exploité cette tendance.

Au delà de ces observations sur l’évolution des thèmes de la photographie, il semblerait, pour en revenir aux propos cités plus haut, que le phénomène conjugué de la couleur et du grand format est peut-être précisément en train de s’essouffler. Le grand format était plutôt là où on ne l’attendait pas (dans les paysages de Lynn Davis montrés par Edwynn Houk). De manière générale, on a trouvé un équilibre - certains parleront d’éclectisme - entre les différentes formes d’écriture, entre le noir et blanc et la couleur, entre les recherches fondamentalement plastiques et des réalisations plus sophistiquées sur le plan conceptuel. Les classiques se mêlaient aux modernes, les anciens aux contemporains : la photographie du 19e siècle - par exemple Baldus montré par la galerie hollandaise Ton Peek, ou encore les pièces qui figuraient dans le très sérieux cabinet de la galerie Laurent Herschtritt - voisinait avec les excentriques autoportraits de Yasumasa Morimura ou les natures mortes de Claus Goedicke présentés par Thaddaeus Ropac. L’intérêt pour la photographie semble donc très ouvert et résulte peut-être aussi d’un changement de politique de la part des organisateurs : les premières éditions de Paris Photo ne favorisaient-elles pas plutôt les galeries qui avaient les moyens de proposer de rares pièces datant du 19e siècle et de l’entre-deux guerres ainsi que celles qui défendaient les artistes contemporains les plus cotés, plaçant ainsi la barre très haut ? En comparaison, une photographie plus accessible - dans tous les sens du terme - vient répondre aujourd’hui à la curiosité d’un public de toute évidence plus large.


 Gabriel Bauret
19.11.2001