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Expositions

William Eggleston ou l'art de la couleur

Présenté par la Fondation Cartier, le photographe révèle une Amérique magnifiée par ses clichés colorés.


William Eggleston, Sans titre,
Greenwood, Mississippi.
Prise de vue et tirage : 1973-74
Dye-transfer, 50,8 x 60 cm
Collection Paul Ringger,
Jr et Keenon Mc Cloy, Menphis
© Eggleston Artistic Trust
Lorsque l’on pénètre dans le bâtiment de la Fondation Cartier, on est d’emblée séduit par l’accrochage inaugural du travail de William Eggleston : des images subtiles et lumineuses prises à Kyoto. On est d’autant plus attiré qu’il s’agit là d’un travail tout à fait récent, inattendu, le Japon, et composé d’une trentaine de pièces d’une grande cohérence esthétique. L’élégant encadrement de blanc renforce cette cohérence et la technique des tirages qui a été adoptée (“Light Jet”) révèle de belles nuances de couleur. Probablement l’ensemble le plus intéressant de l’exposition pour qui connaît déjà un peu l’oeuvre d’Eggleston. Dans les salles du sous-sol, on ne retrouve pas la même unité, car la rétrospective est composée de séries d’origines très diverses. Les encadrements diffèrent selon les provenances, la conception de l’accrochage est parfois confuse, et les techniques de tirage sont d’inégale qualité : le tirage dit “Iris Print”, utilisé pour l’une des séries les plus récentes, est plutôt décevant en comparaison de procédés classiques. Il n’empêche que l’on va découvrir dans cette exposition un grand nombre de photographies peu connues, rarement montrées, comme cette vingtaine de noirs et blancs des années soixante. Vient ensuite la période qui va révéler l’art du coloriste, celle du début des années soixante-dix, consacrée par une exposition au Musée d’Art Moderne de New York, en 1976, que conçoit et commente avec pertinence John Szarkowski. Sans doute la période la plus novatrice, la plus riche, en tous cas celle qui installe définitivement Eggleston dans l’histoire de la photographie.


William Eggleston, Sans titre,
Prise de vue 1971, tirage 1996.
Dye-transfer, 40,6 x 50,8 cm
Collection privée, Oslo c/o Peter Lund
© Eggleston Artistic Trust
Aujourd’hui, l’usage de la couleur s’est banalisé et il faut se replacer tente ans en arrière pour mieux mesurer l’apport d’Eggleston : lorsque l’art de la photographie rimait avec le noir et blanc. Il faut aussi considérer qu’il se sert alors de la couleur pour montrer le monde ordinaire de l’Amérique profonde, dans le Mississippi et le Tennessee, dont il est originaire, là où il ne semble jamais se passer grand chose. Rien de poétique, ni de grandiose, mais la vie de tous les jours : le congélateur, le four de la cuisinière, la table de la salle à manger. Et la voiture, omniprésente dans les images : la resplendissante carrosserie toute neuve comme la vieille carcasse rouillée. La rue également : on pense à Walker Evans. Et puis il y a ces personnages étranges : ce ne sont plus seulement des couleurs qui nous attirent, mais des attitudes. Par exemple celle de cette femme assise sur un petit mur jaune et qui nous regarde fixement, ou cette autre femme, noire et habillée d’une robe verte, qui se tient debout le long d’une route, ou encore ces deux hommes, un blanc et un noir, à côté d’une voiture - encore une -. En fait, l’oeuvre d’Eggleston nous apparaît comme beaucoup plus complexe, plus diversifiée et plus expérimentale, en comparaison de l’idée que l’on pouvait s’en faire avant de découvrir cette exposition.


 Gabriel Bauret
27.12.2001