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Expositions

Manuel Alvarez Bravo
Sed publica
Soif publique, 1934
© Maison de l'Amérique Latine

Les icônes mexicaines d'Alvarez Bravo

La Maison de l'Amérique Latine propose un aperçu de l'œuvre de Manuel Alvarez Bravo, des années 20 aux années 80. Itinéraire d'un photographe aux multiples visages.

Né en 1902, à Mexico, Manuel Alvarez Bravo s'initie à la photographie dès l'âge de 13 ans, puis apprend la peinture, la musique et étudie la littérature. Au début des années vingt, il rencontre Hugo Brehmer, praticien d'une photographie pictorialiste, aux côtés duquel il apprend à perfectionner sa technique de prise de vue et de tirage. Le début de la décennie est également marqué par le séjour au Mexique d'Edward Weston et de Tina Modotti, dont la manière «straight», directe, influence le jeune photographe mexicain. Soixante-quinze photographies, toutes issues de la collection Manuel Alvarez Bravo, du Musée d'Art Moderne de Mexico, retracent le parcours de cet homme d'images qui se dit volontiers «photographe du dimanche». De ses tout premiers paysages et scènes de genre, fortement empreints de l'iconographie et de la facture pictorialistes, l'exposition ne rend pas compte, préférant retenir la fin des années 20 et les premiers pas du photographe dans le style documentaire et précisionniste. En 1928, Alvarez Bravo prend connaissance du livre Le Monde est beau, d'Albert Renger-Patszch, tenant de la nouvelle objectivité photographique allemande. Commence alors à naître chez lui une fascination pour les formes simples et géométriques du monde industriel, que le regard du photographe vient magnifier. Instrumental, œuvre de 1931, est à ce titre exemplaire. Clefs à molette et boulons sont cadrés en gros plan, assimilant cette composition à une nature morte. D'objets triviaux, ils acquièrent la valeur de motifs picturaux.

Viennent ensuite les photographies des divers insignes de la modernité, vitrines, enseignes et publicité. Aux potentialités expressives de la typographie qui envahit les murs de la ville moderne telles que la photographient Berenice Abbott ou Walker Evans, Alvarez Bravo préfère les juxtapositions surréalistes des vitrines et façades placardées d'affiches dessinées. La filiation est alors parisienne, on pense aux mannequins des vitrines des Gobelins par Atget, aux surréalistes français, émerveillés par ces images dont ils reconnaissent le pouvoir suggestif sur l'imaginaire. C'est cette même inquiétante étrangeté qui parcourt, à partir des années trente, la production du photographe. André Breton saura la percevoir et lui commandera quelques clichés dont La bonne renommmée endormie, exposée ici. Mais si Alvarez Bravo, de son propre aveu, s'est largement nourri de la création artistique contemporaine, l'on ne peut réduire son œuvre à un simple jeu d'influences. Les similitudes observées précédemment entre sa photographie et les tendances qui marquent l'histoire du médium dans les années 30 n'atténuent en rien la qualité de son regard de photographe. Reste à évoquer un aspect, celui des clichés de rues du Mexique et de ses habitants, ces rues où il est «content d'avoir vécu, là tout était photographiable, tout avait un contenu social». L'homme tient une grande place dans nombre de ses images, il est fixé dans l'espace urbain, en situation ou posant devant l'objectif , sur le fond décrépi d'un mur. Scènes de rues mexicaines dont le photographe parvient, dans un regard à la fois tendre et ironique, à capter la beauté insolite.




 Raphaëlle Stopin
16.11.2001