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Patrimoine

Trop de patrimoine tue le patrimoine ?

Les Entretiens du Patrimoine, qui s'ouvrent aujourd'hui au Cirque d'Hiver sous la présidence de l'historien Henry Rousso, tirent le bilan du XXe siècle.

Organisés par la Direction du Patrimoine et de l’Architecture au ministère de la Culture, les Entretiens du Patrimoine réunissent chaque année, pour trois journées de débats, des intervenants venus d’horizons divers autour d’un thème. Après avoir accordé leur présidence à des personnalités comme Pierre Nora, Jacques Le Goff Régis Debray, les Entretiens du Patrimoine sont dirigés cette année par l’historien Henry Rousso, spécialiste de la période de Vichy et directeur de l’Institut d’histoire du Temps présent. Il a invité les participants à se pencher sur «L’émergence et l’évolution de la notion de patrimoine au 20e siècle en France».

Près de 40000 bâtiments sont aujourd’hui classés ou inscrits comme monuments historiques en France (préciser la différence). Et le stock s’accroît chaque année. Si le souhait de sauver de la destruction des témoignages du passé est louable, ne risque-t-on pas bientôt d’étouffer sous le poids de notre patrimoine construit ? Et de se retrouver face à des frais colossaux d’entretien ? Dans le passé, les hommes ont rarement manifesté autant de préventions vis-à-vis de leur histoire architecturale. Les cathédrales s’élevaient sur les décombres d’une précédente église romane, démolie sans états d’âme. Les monarques changeaient au gré de leur humeur la forme de leurs châteaux ou l’agencement intérieur de leurs salles d’apparat. «Les débats poseront au fond la question de savoir comment une société se voit dans le temps, explique Henry Rousso, Comment rend-on intelligible une trace du passé ? Comment fait-on basculer un événement dans l'histoire ? C'est un processus qui est parfois difficile, comme on l'a vu pour le génocide et la violence du siècle passé. Nous en parlerons en étudiant les cas de Drancy et d'Oradour-sur-Glane». Et la dérive vers le tout-patrimonial ? «Cela pose une autre question intéressante. Un exemple parlant : il y a quelque temps, une association s'est émue que l'on n'ait pas conservé lors de la restauration de l'église Saint-Roch à Paris, les traces de la fusillade du 13 vendémiaire. On reproche ici l'effacement de ce qui était au départ une perte, une déprédation ! On voudrait faire vivre les monuments avec toutes leurs altérations. C'est là une ambition démesurée mais elle souligne un principe qui tend à s'imposer : tout effacement du passé devient un crime et dès qu'une chose n'est pas mise en valeur, elle est condamnée à sombrer dans l'oubli.»

On posera aujourd’hui les bases du débat. Une originale introduction en compagnie du lexicographe Alain Rey - sous les feux de l’actualité avec la sortie du Grand Robert de la langue française, dont il est le responsable – étudiera la sémantique et le vocabulaire. Puis un survol du siècle montrera l’émergence inéluctable des musées d’histoire ou de mémoire. Demain sera probablement plus conflictuel ou animé… avec la remise en cause d’une politique du «tout patrimonial». Le paysage est devenu patrimoine, le lavoir de village est devenu patrimoine. La ville, l’environnement sont-ils menacés de fossilisation ? On attend les prises de position d’inspecteurs et conservateurs du patrimone comme Jean-Marie Vincent mais aussi d’architectes comme Paul Andreu ou Claude Parent, d’anthropologues comme Jean-Luc Bonniol, de politiques comme Michel Bouvard, député de Savoie, ou Gérard Pelletier, président de la fédération des maires ruraux.


 Rafael Pic
26.11.2001