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Patrimoine

Claude Parent : «Trop protéger, c'est menacer la créativité des architectes»

Pour le praticien de l'architecture oblique, l'accroissement du stock de monuments historiques constitue un danger sérieux.


Église du Banlay à Nevers
© Gilles Erhmann
Le débat sur le thème «Qu’est-ce qu’un monument historique?» vous concerne de près.
Claude Parent.
En effet. D’ailleurs, tout jeune, j’ai fait un stage chez un architecte des Bâtiments de France. Mon frère travaillait lui-même à l’inspection des Monuments Historiques. L’architecte en question était Trouvelot. Il est oublié aujourd’hui mais il a beaucoup fait progresser la théorie de la restauration par ses travaux à Chateaudun ou aux thermes de Cluny.

Combien de vos créations ont été inscrites à l’inventaire ?
Claude Parent.
Trois. La première est la villa d’André Bloc au Cap d’Antibes, qui date de 1959. La seconde est une petite maison, toujours sur le domaine d’André Bloc, mais à Meudon cette fois. C’était l’époque de la synthèse des arts, les architectes et les plasticiens travaillaient ensemble. La troisième réalisation classée est l’église Sainte Bernadette du Banlay à Nevers (1966). C’est ma première réalisation commune avec Paul Virilio, qui a travaillé avec moi sur le thème de l'architecture oblique. Lorsque j’ai appris le classement, il y a deux ans, j’ai été particulièrement surpris. Il faut dire que l’église avait fait scandale en son temps, en partie grâce à une dépêche de l’AFP qui lui avait été consacrée et qui avait alimenté un débat sur le thème : «Est-ce bien une église ?». Qu’une architecture aussi dérangeante – les habitués eux-mêmes m’ont dit qu’il fallait du temps pour se l’approprier – soit reconnue est un beau signe d’encouragement. Ce qui m’intéresse, c’est le phénomène de discrépance, pour reprendre un terme d’Isidore Isou : voir classer un monument qui n’avait pas de prétention à l’être

La tendance vers le tout-patrimonial, comme on la définit, vous inquiète-t-elle?
Claude Parent.
Oui. Les beaux sites, les bons terrains sont déjà pris par les moines, par les militaires, par les administrations. Il reste peu d’endroits. Si l’on restreint le territoire d’une façon qui consiste ne pas supporter le voisinage, on fige une certaine notion de la liberté, on limite le champ opératoire. Une cathédrale occupe moins d’espace qu’un shopping center mais l’interdit qu’elle jette autour d’elle est beaucoup plus grand. On est en train de construire sous contrôle. Je l’ai vérifié moi-même. Lorsque j’ai voulu surélever ma petite maison à Neuilly, j’ai dû passer sous les fourches de l’architecte des bâtiments de France et des services de la mairie. Un bâtiment classé, le lycée Saint-James, que je ne vois d’ailleurs pas, se trouve en effet à moins de 500 mètres. Ces lois de protection existaient auparavant mais les contrôles s’exerçaient peu. Si l’idée du tout-patrimonial se développe et impose la mémoire comme critère de fond au détriment de l’esthétique, qui était jusqu'ici la qualité de base universelle, la créativité s’en ressentira.


 Rafael Pic
27.11.2001