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Expositions

Philip Taaffe, Façade (détail)
2000 - 2001, technique mixte sur toile
284 x 230 cm.
Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac

Les sédimentations picturales de Philip Taaffe

La galerie Thaddaeus Ropac présente la première exposition française du peintre new-yorkais.

Philip Taaffe est né à New York en 1955 et commence à peindre vers 1980. Rapidement, il élabore une technique mixte sur toile, mêlant peinture traditionnelle, sérigraphie, collage et batik. Les compositions, vivement colorées, sont pour la plupart de grand format. Nul visage humain chez Taaffe, seuls quelques animaux, et surtout une prédominance de motifs minéraux et végétaux qui viennent peupler l’espace de la toile. Cependant ces éléments sont extraits de leur environnement, et ne sont donc considérés que pour leur seule valeur graphique. Le végétal est souvent stylisé, évoquant fortement les formes art nouveau. Les ellipses, courbes et lignes dentelées introduisent des dynamiques contradictoires sur la surface, faisant cohabiter au sein d’un même espace, mouvements rotatifs et ascensionnels. La composition se fait souvent symétrique, jouant du dédoublement des motifs comme dans Luna Park. Mais cette régularité observée ne résiste pas à un regard plus attentif, quantité de petits éléments venant perturber le champ visuel. La saturation de la toile rappelle les all-over, ces compositions planes et a-hiérarchiques. De même la sérigraphie et certains thèmes abordés font parfois explicitement référence à Warhol (Terpsichore). L’expressionnisme abstrait et le pop art américain ne sont pas les seules filiations qui s’imposent à la vue de ces tableaux, le peintre semble également avoir hérité de l’art ornemental de l’architecture islamique. Le regard de Taaffe est cultivé, il se nourrit de références picturales, littéraires et philosophiques comme en témoignent certains de ses titres (Avicenna, Pharos). Mais ces agencements de formes colorées ne peuvent se réduire à de simples compositions décoratives.

Si l’art de Taaffe est assortie à une dimension décorative, il la dépasse largement. Cette peinture requiert en effet de l’attention, une lecture qui laisse place à la contemplation. Le regard doit prendre le temps de pénétrer chacun des espaces de la toile, sa surface et sa profondeur, car la bidimensionnalité, tout comme le caractère décoratif, n’est chez lui qu’apparente. Une lecture plus attentive amène le spectateur à déceler un tableau sous le tableau, une infinité de motifs évanescents qui se superposent les uns aux autres, suggérant un espace pictural en devenir. Le végétal devient fossile, et les motifs qui s’imbriquent les uns dans les autres sont autant de strates, d’une peinture qui a été et sera, autre.


 Raphaëlle Stopin
26.11.2001