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Expositions

Anne Durez, l'infime à l'œuvre

La galerie Zürcher présente, dans le cadre de l'aide à la première exposition, les derniers travaux d'Anne Durez, jeune photographe et vidéaste.


Anne Durez, vidéogramme
extrait de Malgré tout, 2001, 12 mn
Courtesy Galerie Zürcher
L’œuvre frappe d’emblée par sa pluralité. Anne Durez investit les différents champs de l’image mécanique,vidéo et photographie, usant de l’un pour ce que l’autre ne peut offrir. C’est l’absence du geste, ou sa qualité toujours partielle et fragmentaire en photographie, qui l’amène à aborder la vidéo. Malgré tout, pièce majeure de cette exposition, est une succession de plans de gens lavant et se lavant. L’écoulement de l’eau et le glissement du savon sur la peau, le passage répété des mains dans les cheveux sont autant de manifestations du temps à l’œuvre dans ces courtes séquences. L’image est brute. En son centre, la présence des pixels vient rappeler l’incapacité à saisir l’entièreté de ces corps. Le mouvement est là mais fragmentaire, parfois hors champ. La proximité physique de la caméra ne dit rien du sujet sinon qu’il lui échappe. Le regard n’est jamais brutal : aucune violence ni voyeurisme dans ces images. Le gros plan dématérialise la chair plutôt qu’il ne la révèle. Nul visage n’apparaît à l’écran, ce sein, ce dos, cette épaule n’appartiennent à personne, l’identité est à chercher ailleurs, dans ces gestes que nous exécutons à l’identique ou presque, tous les jours. Les mouvements se répètent, ce sont toujours et jamais les mêmes, une serviette rose enserrant une chevelure, une main lavant un pied, les séquences semblent passer en boucle, et pourtant chacun de ces mouvements appartient à un moment différent. Ce rituel de gestes machinaux esquisse, malgré lui, un portrait du filmé. Ce sont les franges, ces seuils entre un état de conscience et d’inconscience, ces moments de flottement qu’investit, ici comme ailleurs, Anne Durez. Des Bavardages (1997-1999), portraits de gens au réveil aux Indifférences (1999-2000), paysages ruraux et urbains à l’aube, c’est cet état d’entre-deux, ces espaces de temps indéfinis qu’elle met en lumière.


Anne Durez, vidéogramme
extrait de Malgré tout, 2001, 12 mn
Courtesy Galerie Zürcher
L’exposition présente parallèlement une installation intitulée tenir/retenir (1999-2001) mettant en regard deux vidéos, chacune sur un support différent, l’une sur un moniteur, l’autre projetée sur le mur. La première, une performance de plus d’une heure, met en scène l’artiste elle-même, en buste sur un fond neutre. D’abord immobile, elle est peu à peu gagnée par le sommeil, apparaissant dans un état de demi-veille. Là encore, c’est ce temps mal défini, transitoire, qu’elle retient, ce glissement d’un état à l’autre dont elle rend compte dans son déroulement par l’entremise de la vidéo. L’image projetée en face d’elle, est celle de coquelicots agités par le vent, se mouvant dans un balancement hypnotique. Dans les deux vidéos, on observe un même relâchement, une même absence de conscience du mouvement qui les habitent. Tous deux sont mus par des éléments indépendants de leur «volonté», malgré eux.
Cinq photographies accompagnent ces deux œuvres vidéos, regroupées sous le titre Impatiences (1999-2001), toutes de format et de sujet très divers. Un paysage à l’aube, un homme en train de bailler, un vase rempli de fleurs fanées, un sac poubelle, un tissu séchant sur une corde, tous portent une empreinte, celle du temps, celle d’un corps. Le jour qui se lève, l’homme qui se réveille, les fleurs qui se meurent, un habit qui garde la trace d’un usage antérieur et dans lequel on voit se dessiner, cachée dans cette zone d’ombres, une tête de mort. Anne Durez donne à voir ce qui est malgré tout. Un regard d’artiste qui sait voir les choses pour ce que Duchamp appelait, «leur beauté d’indifférence».


 Raphaëlle Stopin
04.12.2001