Home > Le Quotidien des Arts > Memphis, ex-fan des Eighties

Expositions

Martine Bedin, Super Lampe,1981
© Design Museum

Memphis, ex-fan des Eighties

Le Design Museum de Londres rend hommage, vingt ans après sa première exposition, au collectif de designers Memphis.

D'orgine milanaise, Memphis naît en 1980 sous l'impulsion de l'architecte italien Ettore Sottsass. Insatiable inventeur de formes, Sottsass, qui vient de quitter avec Mendini, le groupe de designers Studio Alchymia, veut fonder une ligne de meubles. Il réunit autour de lui de jeunes collaborateurs, Martine Bedin, Aldo Cibic, Michele de Lucchi, Matteo Thun et Marco Zanini ainsi que son ami Renzo Brugola. Initialement intitulé The New Design, le groupe se rebaptise Memphis, après avoir entendu Dylan chanter «Memphis blues again». Barbara Radice, écrivain, qui a suivi l’aventure du collectif, écrit «tout le monde pensait que c’était un nom génial : le blues, le Tennessee, le rock’n’roll, les banlieues américaines et puis l’Egypte, la capitale du pharaon, la cité sacrée du dieu Ptah». L’appellation Memphis suffit en effet, à évoquer tout l’univers de ces designers qui font se côtoyer, dans un esprit post-moderniste, les formes architecturales de l’Antiquité aux couleurs vives et aux matières plastiques. Memphis initie un style architecturé et baroque devenu symbole des années 80. Mais leur démarche n’est pas sans précédent. Dès les années 60 et 70, les groupes d’architecture et de design tels Archigram, Archizoom, Super Studio et Alchymia, délaissent le rationalisme moderniste, et préfèrent à la ligne et à l’angle droit, l’expressivité de la courbe et de la sphère et des couleurs vives. Beaucoup de jeunes designers et d'architectes vivent ce renouvellement de la pratique comme un affranchissement, une libération de la tyrannie du bon goût.

Memphis, par la diffusion très large de ses créations, aura un même effet stimulant et désinhibant pour la jeune génération. Désormais d’autres modèles s’offrent à eux. Ettore Sottsass, très imprégné de l’iconographie et de la manière du pop art, veut faire un design qui prenne ses racines dans notre quotidien le plus immédiat, celui des banlieues, «Memphis n’est pas nouveau, affirme Sottsass, Memphis est partout». La poursuite d’une idée métaphysique du Beau ne l’intéresse pas, son design, dit-il «est dédié à la vie, pas à l’éternité». L’objet design chez Memphis est objet de consommation. Cette volonté de désacraliser la création est à rapprocher de la démarche de nombreux pop artistes. On peut également déceler une même ambiguïté, la convocation de la culture populaire et de ses formes dans le champ de la création artistique : ne serait-elle pas assortie d’une dimension critique ? Selon Paola Antonelli, commissaire de l’exposition, l’objectif du groupe était de mettre en évidence les vices des années 80, «Memphis, dit-elle, est une expérience que Sottsass a voulu mener, pour critiquer le consumérisme, l’avarice et l’individualisme». Les formes créées par Sottsass et ses collaborateurs peuvent aujourd’hui nous paraître datées, marquées au sceau de cette décennie, symbole de l’exubérance des années 80. Mais Memphis, au-delà de ses créations, constitue surtout une révolution des pratiques, une voie ouverte vers une conception plus large des formes du design, qu’empruntèrent, et empruntent encore à leur suite, nombre de jeunes designers.


 Raphaëlle Stopin
28.11.2001